Journées de réflexion sur le Passé colonial à l’Université de Kinshasa. Les travaux ont été lancés ce jeudi 01 juin 2023 par le Président du Sénat, le Professeur Modeste BAHATI LUKWEBO, dans la salle Monekosso. Il s’agit, pour l’hôte du Recteur Jean-Marie KAYEMBE, de tabler sur le Rapport de la Commission Spéciale chargée, par le Parlement Belge, d’examiner le rôle de l’État Indépendant du Congo et le passé colonial au Congo, au Rwanda et au Burundi, en vue de dégager les conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver. Ces travaux s’étaleront sur deux jours. Ci-jointe, l’allocution du Président du Sénat Modeste BAHATI LUKWEBO, lors du lancement des travaux.
MOT DE L’HONORABLE PRESIDENT DU SENAT, PROFESSEUR MODESTE BAHATI LUKWEBO A L’OCCASION DE L’OUVERTURE DES JOURNEES SCIENTIFIQUES SUR LE PASSE COLONIAL AU CONGO ORGANISEES PAR L’UNIVERSITE DE KINSHASA
JEUDI 1er JUIN 2023
- Monsieur le Ministre de l’Enseignement Supérieur et Universitaire ;
- Monsieur le Ministre de la Recherche Scientifique et de l’Innovation Technologique ;
- Monsieur le Recteur de l’Université de Kinshasa ;
- Mesdames et Messieurs les Membres du Corps académique de l’Université de Kinshasa ;
- Mesdames et Messieurs les Membres du Personnel administratif, Technique et Ouvriers de l’Université de Kinshasa ;
- Chers Etudiantes et Etudiants de l’Université de Kinshasa ;
- Distingué(e)s Invité(e)s en vos titres et qualités respectifs ;
Me trouvant ce jour devant cette respectable assistance dans la grande salle MONEKOSSO de l’Université de Kinshasa à l’invitation du Professeur Docteur Jean Marie KAYEMBE, Recteur de notre Alma Mater pour partager avec vous les réflexions sur le passé colonial belge au Congo, je ne peux qu’exprimer ma profonde reconnaissance pour l’honneur que vous me témoignez en m’associant à ces assises de haute portée historique.
Pour plus de clarté et de précision, il sera question, au cours des interventions et échanges entre participants, de tabler sur le rapport de la Commission spéciale chargée d’examiner le rôle de l’EIC (Etat Indépendant du Congo) et le passé colonial au Rwanda et au Burundi, en vue de dégager les conséquences et la suite qu’il convient d’y réserver selon les termes de référence des présentes journées scientifiques.
J’aurais bien voulu aller au cœur de cet important rapport qui suscite beaucoup de passions et de polémiques surtout en ce moment où notre pays, la République Démocratique du Congo est agressée par le Rwanda et ses alliés. Les contraintes d’agenda font que je me limiterai à quelques segments du sujet.
Afin que les générations futures retracent les points positifs du passé colonial, puisqu’il y en a, et qu’elles ne puissent ignorer les violations massives des droits des peuples autochtones, je souhaite que l’examen du présent rapport tienne scrupuleusement compte de l’éthique et de l’objectivité scientifique par tous les intervenants.
En effet, les événements historiques qui gravitent autour du passé colonial belge au Congo abondent et suscitent d’interminables débats sur l’exactitude des faits. Il suffit de prendre comme exemple un fait gravissime qui s’est produit juste après la colonisation en l’occurrence la mort du Premier Premier Ministre du Congo indépendant, j’ai cité Eméry Patrice Lumumba du vrai nom Elias Okit’Asombo. Certains écrits avaient prétendu que lui et ses compagnons de lutte Joseph OKITO et Maurice MPOLO avaient été massacrés par les paysans non loin d’Elisabethville. Une autre version vraisemblable affirme qu’ils avaient été assassinés, découpés en morceaux et dissous dans l’acide sulfurique.
De là vous pouvez déjà comprendre que l’histoire est parfois relatée selon l’intérêt du rédacteur.
Mon souhait est que ce rapport livre aux participants et aux lecteurs futurs la véritable vérité du passé colonial au Congo et au Rwanda Urundi.
Comme vous le savez, l’opinion aussi bien nationale qu’internationale s’est toujours intéressée à tout ce qui se passe en République Démocratique du Congo. La raison est toute simple. De par ses ressources, sa situation géostratégique et ses origines depuis la conférence de Berlin, la RDC a toujours été considérée comme un coffre-fort du monde.
En parcourant ce rapport, le lecteur constatera que le Congo était considéré comme une entreprise privée du Roi Léopold et par la suite du Royaume de Belgique. Plusieurs griefs y sont relevés.
Commençons par les faits pour lesquels la puissance métropolitaine est souvent incriminée, à tort ou à raison.
Généralement, on accuse la Belgique avec en tête le Roi LEOPOLD II d’avoir mal colonisé le Congo dans les domaines ci-après :
- Sur le Plan politique et sécuritaire:
- Interdiction formelle des réunions et manifestations à caractère politique ;
- Violations des Droits de l’Homme, et non-respect du droit de travail à cause
- des travaux forcés imposés aux colonisés avec l’usage de la chicotte (fimbo), occasionnant des sévices corporels parfois mortels ;
- Application discriminatoire de la justice. Les Colonisateurs étaient jugés par des Juridictions différentes de celles réservées aux nègres. Il s’agit précisément de tribunaux indigènes dirigés par des Chefs traditionnels ;
- Destitution des Autorités traditionnelles jouissant de légitimité et leur relégation ou leur remplacement par les Agents au service de l’Administration coloniale pour s’assurer l’exploitation optimale des ressources naturelles au profit de la métropole ;
- Limitation et contrôle des mouvements des indigènes dont le déplacement d’un territoire à un autre était soumis à l’autorisation préalable du Représentant de l’Administration coloniale le plus proche ;
- Construction des chemins de fer (la bataille du rail) ayant occasionné beaucoup de morts parmi les congolais réquisitionnés pour les travaux.
- Sur le Plan économique:
- Entretien de la pauvreté ;
- Exploitation optimale des ressources naturelles et leur exportation pour le compte de la métropole ;
- Culture obligatoire des plantes vivrières (arachides, maïs, haricot) et pérennes (café, coton, cacao, hévéa, palmier à huile…) ;
- Accaparement des terres congolaises, de toutes les matières premières acheminées directement vers la métropole, notamment à l’Usine de HOBOKEN.
- Sur le plan Social:
- Le régime discriminatoire d’enseignement, l’enseignement de qualité réservé aux enfants européens (humanités) tandis que, l’enseignement au rabais (cycles courts et écoles professionnelles) revenait aux enfants des indigènes) au nom du sacro-saint principe « Pas d’intellectuels, pas d’ennuis » ;
- Politique d’aliénation et d’acculturation des congolais par la destruction de tout ce qui pouvait leur donner le courage d’affronter le pouvoir colonial (œuvres d’art emportées ou détruites sous prétexte qu’elles incarnaient les esprits diaboliques).
Après avoir planché sur les méfaits de la colonisation et qui ont gravité autour de la domination et l’aliénation du peuple congolais, l’objectivité scientifique nous oblige de reconnaître et de souligner le fait qu’il n’existe pas de régimes parfaits ni des œuvres dénuées de toute imperfection ;
Pour cela, nous alignons à l’actif de l’Administration coloniale les quelques réalisations bénéfiques ci-dessous :
- l’usage de la langue française que l’Administration coloniale avait instaurée dans l’enseignement et qui constitue un facteur de rapprochement entre toutes les tribus de la République Démocratique du Congo dans tous les domaines (travail, enseignement, évangélisation etc.) ;
- les infrastructures économiques : routes, industries, magasins, boulangeries, matériels, chemin de fer, aéroports, ports maritimes, fluviaux et lacustres… ;
- Palais de la Nation, bâtiments administratifs, résidences des Gouverneurs ;
- les campus des Universités Lovanium et officielle du Congo et aussi les Instituts Supérieurs Pédagogiques (Bukavu, Elisabethville, Lubumbashi, Kisangani, Luluabourg …) ;
- Camps militaires de Luluabourg, Léopoldville etc ;
- Aéroports, infrastructures sportives, hôpitaux, dispensaires et centres de santé.
- l’éradication de l’esclavage et des maladies mortelles ayant décimé une grande partie de la population telles que : maladie du sommeil, lèpre, variole).
Cela étant, la colonisation a bel et bien eu lieu, et, le passé colonial, qui unit les deux Nations belge et congolaise est un fait historique indéniable. Il faut maintenant que les générations présentes et futures prennent conscience de ce passé commun et envisagent toutes les dispositions pour transcender les divergences d’opinion, et, même dépasser tout ce que la colonisation avait d’aliénant, afin de maîtriser les problèmes qui gênent le développement de l’ancienne colonie belge, au lieu de s’en servir pour justifier leur malheur et leur retard de développement en se livrant à toute sorte de récriminations au risque de faire le lit de la recolonisation des congolais par d’autres congolais.
Pour terminer, je forme le vœu de voir les résolutions issues de ces présentes journées scientifiques contribuer efficacement à la sensibilisation de l’opinion publique tant nationale qu’internationale sur les voies et moyens du rétablissement de la paix et de la cohésion nationale et au renforcement des relations privilégiées entre la RDC et la Belgique en tant que puissance métropolitaine avec laquelle notre pays partage un passé commun.
Les récentes audiences accordées par Son Excellence Félix-Antoine TSHISEKEDI TSHILOMBO, Président de la République, Chef de l’Etat congolais à la Délégation conjointe de l’Université de Louvain la Neuve et de L’Université de Kinshasa et la visite de Sa Majesté le Roi PHILIPPE de Belgique, témoignent du du grand intérêt que les deux Autorités suprêmes attachent à la coopération bilatérale et à la sauvegarde des liens historiques et infalsifiables entre la Belgique et la RDC.
Sur ce, je déclare ouvertes les journées scientifiques sur le passé colonial belge au Congo et je vous remercie.
Fait à Kinshasa, le 1er juin 2023
Professeur Docteur Modeste BAHATI LUKWEBO
Président du Sénat
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Jérémie Kunima, Rectorat